Il se balade. Encore, toujours, jusqu'au bout du monde, jusqu'au bout de ce monde infini. Il marche lentement, évitant les lignes blanches qui se dessinent partout autour de lui. Vous voulez le piéger ? Mauvaises, laides que vous êtes. Vous l'emprisonnez, vous savez. Il continue d'avancer, prenant garde à bien poser ses pieds aux endroits sans dangers. Il flirte avec le risque, danse avec sa vie. C'est drôle comme un esprit perturbé peut être imaginatif. Ces lignes, elles se dessinent dans sa tête, dans son crâne, sur ses yeux. Et c'est comme ça qu'elles apparaissent dans son champ de vision, et même au delà. Il aimerait bien qu'elles s'en aillent, mais depuis le temps, il s'y ait habitué. Alors maintenant, à quoi bon les chasser ? Et il sent la brise du soir contre ses joues piquantes, creuses, mal rasées, râpeuses, rugueuses. Le souffle léger du vent le fait frissonner. Il s'arrête et relève le bout de son nez. La forêt. Cette immensité, cette immense forêt pleine de secrets, de bosquets, de bestioles, d'étoiles tombées du ciel, de renards et de corneilles qui cherchent à tromper les voyageurs pour pouvoir se délecter de leur désespoir. Les bois ne sont dangereux que pour ceux qui croient qu'ils le sont. Les autres voient la forêt comme un havre de paix. Un endroit où le mal peut venir se cacher, à l'ombre des arbres, entre les bruits effrayants et la fraîcheur de chaque nuit. Les bois c'est un bel endroit pour vivre, c'est un beau terrain de chasse. Est-ce que vous savez combien d'âmes se perdent chaque secondes dans les bois, entre les arbres, dans les astres ? Vous seriez surpris. Il n'y a que les loups, les connaisseurs ou les chanceux qui savent s'y frayer un chemin et qui en sortent intactes. Les autres ils se font dévorer par la faim, par le froid, par le noir, par la peur. Baltazar il n'a pas peur. C'est un loup, il n'y a aucune chance qu'il reste coincé en ces lieux. Ils les aiment tant, ces bois. Il y fait bon vivre. On peut y crier tant qu'on veut, personne ne vient jamais nous voir, personne ne vient jamais nous déranger. Quand il n'a pas envie de crier sur les gens, il vient ici et il crie contre lui-même, contre tout le monde et personne à la fois, contre la planète Terre, contre Jupiter, contre l'univers. Il crie fort, toujours. Il veut qu'on l'entende, qu'on entende sa peine, sa colère, sa rage, qu'on entende tout ça en un seul cri. Et ça le ronge, ça le brûle à l'intérieur mais ça fait du bien. Alors il sourit. Il prend une profonde inspiration. Il ouvre son énorme gueule pleine d'ivoire en grand et laisse échapper un hurlement de rage contre la lune qui n'apparaît toujours pas, contre le soleil qui commence à peine à s'éloigner, à se coucher derrière les feuillages des arbres sombres, des arbres immenses de la forêt qui fait silence. Son cri fait fuir des oiseaux. Il s'en moque et s'enfonce dans l'obscurité des lieux. Il évite toujours les lignes, mais il ne regarde plus le sol. On dirait un peu qu'il vole. Il sait où il veut aller en attendant de pouvoir gueuler après le soleil, pour pouvoir hurler à la lune qu'elle est en retard et que si elle continue elle le regrettera, un jour ou l'autre. Les esprits de la nuit, les bêtes nocturnes, les monstres taciturnes n'aiment pas attendre et ils n'aiment pas l'été non plus, ils sortent moins, ils font moins peur. C'est mieux l'hivers, pour les bestioles comme eux. Il faut noir, un froid de canard. C'est pour ça que Baltazar aime tellement l'hivers, même s'il hait la neige. Invention inutile, chose futile. Le ciel s'assombrit de plus en plus. Quand il arrive dans la clairière, le bonhomme, il aperçoit encore le soleil et il enrage. POURQUOI TU RESTES LA, 'SPECE DE BOULE DE FEU ? TU M'BRÛLES LES YEUX. PARS. PARS LOIN. VA-TE COUCHER. VA-TE CACHER. LAISSE LA VENIR. Il se tait. Un bruit l'intrigue. Il lève les yeux au ciel, puis les reporte dans la clairière. Perdu ? Qu'il souffle tout en souriant, sournoisement. C'est peut-être un énergumène intéressant, qui sait ? Il n'aime pas les gens, les gens ne l'aiment pas, mais il aime les âmes, les âmes perdues, les âmes en peine, les petites choses fragiles, faciles. Faciles à manipuler surtout. Il s'assoit, exerce son poids pesant d'éléphant sur quelques brins d'herbes jaunis par le temps et observer les bois. Qui va en sortir ? Homme, femme, animal, bête de la nuit, monstre chassé du paradis, ange tombé du ciel un jour de pluie ? Il n'en a aucune idée, et ce n'est pas plus mal en fait. Il aime bien l'inconnu, il aime relever les défis. La nuit est sur le point de tomber, bientôt le soleil va enfin s'en aller, céder sa place à l'astre aimé et Baltazar pourra s'en doute commencer à s'amuser comme le font tous les monstres une fois que le monde dans le noir est plongé.

Il n'aime pas trop être dérangé en général, non parce que d'habitude c'est lui qui vient emmerder le monde, entretenir la terreur, titiller l'esprit. Habituellement c'est lui qui rend visite et pas l'inverse. Mais il ne va pas non plus se plaindre de ne plus être seul. Il s'avance en direction du petit monsieur qui semble venir de tomber d'un arbre. Drôle d'oiseau, qu'il pense Baltazar. Les mammifères à plumes tombent rarement de leur nids à par quand ils sont petits, mais il est vrai qu'à moins qu'il les cache bien ou qu'elles soient invisibles, l'inconnu ne semblent avoir aucune aile à disposition. Baltazar étire un sourire long comme le bras, laisse même percevoir ses dents jaunies par le temps, autrefois couleur ivoire et s'avance lentement vers l'oiseau tombé de son arbre. Un pas après l'autre, l'éléphantôme se rend compte qu'il a déjà aperçu ce pigeon quelque part, mais il ne dit plus mot, se contente de sourire, plissant les yeux d'une façon singulière, familière, pleine de malice, continuant son bonhomme de chemin, une patte devant l'autre. Il croise ses énormes mains pleins de cornes dans son dos, prend une inspiration peu rassurante et expire l'air frais de la nuit qui s'approche. Il écoute la voix du vent, ou la voix de l'autre homme guidée par un flot d'air lui claquant au visage, mais avec une peau aussi dure, Baltazar ne sent plus le mal. On pourrait lui transpercer la gueule avec un javelot qu'il ne sentirait rien. Certains disent qu'il est fait de véritable cuir, cet éléphant, que personne depuis qu'il est arrivé n'a réussi à le déchirer. Alors il brave la brise faiblarde, mollassonne, et se plante devant le drôle d'homme. Il le regarde de ses yeux gris, usés, mâche sa lange un instant, roule des orbites, fait tourner les méninges rouillées de son cerveaux endommagé par la peine et les regrets et finit par lâcher quelques mots qui dans l'air son instantanément absorbés. Si vous êtes un oiseau, alors je vous plains. Vous êtes stupide et faible, simple d'esprit pensant que la vie est belle et le sera pour toujours, trop petit pour échapper aux prédateurs alentour. Il baisse les paupières un instant, lève la tête et tourne le dos. Il siffle à la lune qui s'approche, timide, et rouvre ses yeux pour la voir, divine. Il fait volte-face en un dixième de seconde et plante ses yeux dans ceux de l'autre. Dîtes-moi un peu ce que vous faites dans ces bois ? Il attend un instant, avale sa sale salive pleine d'acide sulfurique et s'assoit, écrase de tout son poins horrible l'herbe et les feuilles qui autour de lui, lentement, commencent à jaunir, vieillir, puis mourir. Il soupir. Je veux juste voir la lune, moi. Elle lui ressemble tellement. Elle se cache dans le noir, la nuit, quand il fait froid, quand les gens on peur avant de s'endormir. Quand les enfants rêvent et puis cauchemardent. Quand les morts se réveillent pour visiter leur famille qu'ils trouvent chaque fois endormie. Qu'elle frustration ce doit être de n'être qu'un fantôme. Et Baltazar il la connait cette frustration, mais d'un autre côté, il en jouit. Il aime vagabonder et laisser derrière lui des corps vidé de lumière et de paix, emplis de colère et d'amertume glacée. Lui il aime être comme la lune, il aime être un astre à deux faces, dont une cachée. Il adore voir la lune parce qu'elle ressemble à sa moitié et il se calmerait presque en la voyant, cette beauté. Mais il est torturé, trituré de partout ce vieux truc, il peut pas s'arrêter de martyriser. Il veut rendre la monnaie de sa pièce à la vie, cette garce qui l'a anéanti. Oui, lui il crie vengeance, il crie démence, il crie sentence. Il crie trop, tout le temps, alors c'est un soulagement quand il voit la lune dans le ciel. Et il aimerait qu'elle reste là, pour toujours, que son règne, la nuit noire, sombre, soit éternelle. Mais le soleil pousse toujours la lune à en finir, à s'en aller la tête basse une fois qu'elles est vaincu par cette lumière grasse. Baltazar il aime pas le soleil, mais il peut rien faire contre lui, cet astre il est trop fort pour lui, il peut pas le pousser à faire ce que les gens font d'habitude quand ils voient l'éléphantôme, ce machin dégueulasse, ce puis de solitude, de lassitude.